... En photographie

Kertesz_Lire_3-1La Lecture, André Kertész, 1915

Scène de rue dans une ville hongroise. Le quotidien des locaux immortalisé par le photographe André Kertész qui « réussit à nous raconter l’histoire de la prise en otage du lecteur capturé par la délectation de ce dialogue intime avec le texte. »

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Moine, Philippe Bougier

« Les mots fleurissent parfois discrètement notre univers, ils s’offrent en partage aux sensibilités rencontrées. Ces bouquets de mots prennent toute sorte de noms. On les apprivoise sous différentes formes ! Fraîchement édités, poussiéreux, on les trouve sur des étals, dans les greniers, transformés. Bouquins ! Journaux ! Missives ! Ils nous surprennent, nous émerveillent ! On les bichonne ! On les prend par la main, On ne les quitte pas des yeux ! On les télécharge ! On photographie ceux qui se les approprient ! »

... Qui sommes nous ?

dessin-mains

Étudiantes en Master 1 Communication Rédactionnelle Dédiée au Multimédia de l’Université de Paris-Ouest Nanterre, nous avons le souhait, par la publication de ce blog, de présenter les différents profils du lecteur au travers de divers domaines, afin de mieux comprendre ce qu’est la lecture savante, qui est l’objet de la journée d’étude du 22 janvier 2015.

Notons que notre façon de lire, d’apprendre et d’étudier est en constante évolution, notamment grâce aux nouvelles technologies. Communément, est savant celui qui a des savoirs, des habiletés, des connaissances approfondies dans un domaine. Pour nous, le lecteur le plus savant ou expérimenté n’est pas seulement celui qui a lu le plus de livres, qui lit plus vite que les autres, qui peut déchiffrer des mots très longs, très difficiles à prononcer, très rares. Un lecteur savant comprend ce qui est dit dans un texte, une photographie, un tableau ou encore une bande-dessinée, mais aussi ce qui n’est pas dit ; ce qui est suggéré.

Ainsi, au travers du prisme de l’analyse de différentes représentations du lecteur dans divers pans culturels, nous souhaitons apporter un nouvel éclairage de compréhension et d’appréhension de ce qu’évoque la notion de lecture savante, dans toute sa complexité.

Aïda A.

Leïla B.

Sarah L.

Anne-Lise D.

Sonia J.

Kenne Audrey K.

... En littérature

La figure du lecteur dans la littérature

Mise en abymeLa lecture et l’écriture sont deux actions conjointement liées. En littérature, le fait de d’évoquer, de représenter le fait de lire est étroitement lié au fait d’ancrer le lecteur dans le contexte même de l’action de lecture. De ce fait, le lecteur se retrouvera héros de l’action décrire par différents auteurs d’ouvrages. De ce fait, la figure du lecteur se complexifie et revêt diverses caractéristiques ; celle-ci peut se fondre dans la représentation de l’œuvre littéraire et les distinctions de statut entre lecteur, auteur ou encore narrateur se font de plus en plus floues. Se pose par conséquent une complexification dans le processus d’identification de la figure du lecteur, devenant pour les auteurs un véritable sujet de représentation.

Représenter le lecteur revient également à théoriser la lecture en général dans la littérature. Ainsi, les différents comportements et habitudes de lecture seront théorisés et consignées dans des œuvres de littérature. Nous parlerons de « romans de la lecture ». Il s’agit d’écrits littéraires théorisant la lecture et y apportant une réflexion au moyen de l’utilisation du romanesque. Ceux-ci sont apparus au cours du XXème siècle, théorisant l’acte de lecture et le lecteur lui-même, mais aussi aux prémices de la pensée pragmatique considérant le lecteur comme maillon capital de la communication littéraire, après que le structuralisme ait refusé de lui donner cette importance. Désormais, le lecteur est inséré dans l’œuvre à l’aide de différents moyens tel que l’intertextualité ou encore la mise en abyme, impliquant le lecteur interne à l’œuvre mais aussi externe à l’œuvre, autrement dit le lecteur réel qui fait l’expérience de la lecture.

 « Telle théorie du roman devrait elle-même être un roman ».

Tels sont les propos de Friedrich SCHLEGER dans Entretien sur la poésie (1800). En effet, la représentation du lecteur se fait de plus en plus fréquente dans les romans auxquels nous pouvons avoir accès. Il existe plusieurs figures du lecteur :

  • La personne empirique, qui effectue l’action de lire l’œuvre
  • La personne implicite, représentant l’instance narrative
  • Le lecteur personnage, mise en scène dans l’œuvre en elle-même

La personne implicite et le lecteur personnage se situent en immersion dans l’œuvre, au sein de la narration. La figure du lecteur évolue ainsi en tant que personnage de littérature et devient caractéristique de la manière dont est perçu l’acte de lecture. Selon Umberto Eco, le lecteur se trouve également au sein même de l’œuvre, faisant partie des décisions, de la stratégie de l’auteur. Il se trouve tant au cœur du texte, de l’histoire, qu’en dehors.

La figure du lecteur a tout d’abord été représentée par le moyen d’une apostrophe lui étant faite, de la part du lecteur. Il s’agissait par conséquent du fait de considérer le lecteur comme un artifice en matière de littérature, cette apostrophe permettant à l’auteur de faire des précisions sur le récit, justifiant ses choix de structures textuelles.

Le lecteur peut être considéré comme une instance narrative à l’initiative de l’auteur, toujours au moyen d’une apostrophe mais qui sera davantage implicite. Le lecteur réel percevra cette apostrophe comme la confusion des limites entre ce que l’on veut lui dire et ce qui concerne le lecteur qui évolue au sein même de l’œuvre. Ainsi, un tri est à faire de la part du lecteur réel afin d’effectuer un discernement entre ces deux réceptions de lecture.

Le lecteur implicite et le lecteur réel peuvent de plus être confondus, par différents procédés mis en place par l’auteur. Le lecteur implicite qui effectuera l’action de lire, sera lié au lecteur réel qui sera en train de lire.

Le lecteur revêt également la position du lecteur personnage, figure complexe immergée dans la lecture d’un livre et surgissant dans la trame littéraire. Le lecteur personnage déclenche chez le lecteur réel un processus d’identification, traduisant sa volonté de lire. Cette figure va notamment émerger au XVIIème siècle, notamment avec Cervantès et Don Quichotte qui met en jeu un lecteur personnage dont les lectures vont mener à la folie, confondant les limites entre réalité et fiction.

Au XVIIIème siècle, émerge la lecture à deux. Libertine ou encore pédagogique, elle est source de bonheur ou encore de sagesse. La figure de la lectrice, et notamment de la lectrice pervertie, surprise en train de lire, devient source de plaisir dans la représentation de la réception des œuvres.  Les femmes auteures représentant la figure de la lectrice défendent la lecture sage et bénéfique aux jeunes filles et à leur apprentissage de l’instruction. Ainsi, la lecture porteuse de plaisir sera considérée comme dangereuse, pouvant déclencher des processus d’indentification auprès de lectrices réelles.

Au XIXème siècle, la lecture est muselée, voire même condamnée, associée aux comportements pervers et oisifs des bourgeois, ayant le temps libre nécessaire pour accéder à la culture. Ainsi, les catégories sociales les plus modestes la considèrent comme néfaste. La figure du lecteur s’en ressent par conséquent, elle sera représentée par une lecture dénigrée, un personnage incompris, persécuté, montrant les dangers de la lecture.

Au XXème siècle, la figure du lecteur et la lecture sont revalorisées. Cette dernière est considérée comme un moyen de s’évader vers un monde meilleur, un plaisir, une manière de découvrir le monde. Cependant, elle ne fait pas encore l’unanimité, même si le lecteur est de plus en plus associé à la passion littéraire, au plaisir de transgresser les interdits par le fait de lire, notamment sous des régimes totalitaires. Dans cette période, apparaissent diverses formes de lecture telles que la lecture à voix haute, la première lecture de familiarisation avec le texte, puis la seconde davantage concentrée sur le sens, celle du lecteur critique ou du lecteur naïf, comme un enfant par exemple…Marcel Proust évoque longuement son enfance et sa découverte en tant que lecteur de la littérature, Jean Paul Sartre également. Le XXème siècle donne au lecteur ses lettres de noblesse, le plaçant au cœur du récit, et se focalisant sur ses réactions, ses impressions vis-à-vis de celui-ci. Ainsi, le lecteur n’est plus seulement itinérant au personnage, il lui est lié intimement, il est « personnage lecteur ».

gide-les-faux-monnayeursDans les Faux monnayeurs d’André Gide paru en 1925, figure du Nouveau Roman, le personnage principal, Edouard, est un auteur en manque d’inspiration qui ne parvient pas à écrire son livre, et qui le fait lire à Bernard et Olivier, deux adolescents faisant eux aussi partie du récit. A la fin de l’ouvrage, nous découvrons que le roman qu’Edouard peine à écrire est en vérité les Faux monnayeurs. Ainsi, nous sommes placés en tant que lecteurs des Faux monnayeurs mais également du roman d’Edouard appartenant à l’intrigue de l’ouvrage. Cet exemple illustre cette confusion entre lecteur personnage et lecteur réel, brouillant les pistes de la narration et de la création littéraire.

Ainsi, lecture rime avec aventure, avec toutes les formes de lecteurs qu’il existe. Le livre est synonyme de culture, il représente un mythe, un idéal de société, associé au savoir et à la connaissance. La figure du lecteur dans la lecture savante sera celle d’un lecteur aguerri, éveillé aux savoirs scientifiques et littéraires. Les différentes formes de lecture savante ont de plus vu émerger de nouveaux supports de lecture, de plus en plus numérisés et informatisés. Par conséquent, la figure du lecteur en est modifiée, elle migre peu à peu vers celle d’un lecteur averti, connecté, et pouvant mettre en lien différents supports littéraires ou scientifiques les uns avec les autres. Le lecteur peut instrumenter la lecture savante de documents et en exploiter les différents bénéfices et enseignements. La lecture permet un partage politique et moral, c’est un acte qui engage un échange d’informations entre différentes figures de lecteurs. Cette notion de partage est d’autant plus d’actualité à l’heure de l’expansion des nouvelles technologies, où la lecture numérique s’installe doucement dans les foyers.

Nous l’avons vu, la figure du lecteur dans la littérature s’est peu à peu affirmée, démocratisée. Aujourd’hui,

« un tiers de la lecture se fait sur écran »

selon une étude Audipresse. Les équipements propices à la lecture digitale favorisent cette expansion. Le lecteur est par conséquent au cœur de l’action de lecture, de l’initiative même de lire. Dans la littérature, les romans de la lecture mélangent la réflexion critique et le domaine du fictif. Le romanesque vient envahir l’essai, la théorie quant à elle vient s’installer dans le domaine du roman. Le personnage lecteur vient par ailleurs complexifier l’action de lire, y apportant de nouvelles formes et de nouveaux modes, et s’ajoute aux faits de théorisation de la lecture. La production littéraire n’est ainsi pas seulement le fruit du travail de l’auteur, mais devient étroitement liée à la figure du lecteur. Les différents types de lecteurs mis en scène au cœur de la littérature deviennent des figures de représentation des différentes lectures qu’il est possible de distinguer : gratuite, numérique, intéressée, forcée, source de plaisir, intellectuelle… Les auteurs, par le fait de mettre en scène différentes manières de lire et différents types de lecteurs, peuvent toucher pléthore de lecteurs réels notamment à l’aide de processus d’identification. Théoriser la lecture, placer le lecteur au cœur de l’action de lire, telle est l’importante évolution dans la littérature au cours des siècles, que la lecture savante accentue notamment au travers du prisme du numérique.

« Anton Voyl n’arrivait pas à dormir. Il alluma. Son Jaz marquait minuit vingt. Il poussa un profond soupir, s’assit dans son lit, s’appuyant sur son polochon. Il prit un roman, il l’ouvrit, il lut ; mais il n’y saisissait qu’un imbroglio confus, il butait à tout instant sur un mot dont il ignorait la signification. Il abandonna son roman sur son lit. »

La disparition, Georges Perec, 1969la disparition perec

... En littérature
... Au cinéma

Au cinéma, l’activité de lecture s’efface parfois derrière une voix-off : le spectateur se fait alors lire un texte, comme si quelqu’un lui comptait une histoire, lui laissant mieux apprécier et contempler les images et la musique qui viennent illustrer et souligner ce texte. La force du cinéma réside donc dans sa capacité à enrichir, sublimer et compléter un texte par un amoncellement d’images et de sons, comme c’est le cas dans Sans soleil de Chris Marker ou dans le court métrage Introduction a la musique d’accompagnement pour une scene du film d’Arnold Schoenberg de J.M Straub et D.Huillet.

Sans Soleil, Chris Marker, 1983

Une femme inconnue, que l’on ne voit jamais, lit les lettres d’un caméraman free-lance. Ce qu’elle prononce est illustré par une succession d’images parfois sans rapport les unes avec les autres et, parfois, même, sans rapport avec le texte qui est lu. Une lecture illustrée par la subjectivité de l’auteur donc, qui a choisi dans son montage d’accoller des images à des mots lus.

Introduction a la musique d’accompagnement pour une scene du film d’Arnold Schoenberg, J.M Straub et D.Huillet,1972

Durant 15 minutes, lecture angoissante de deux lettres écrites par Schoenberg, compositeur juif, à Kandinsky, peintre russe, pour lui signifier son refus d’aller au Bauhaus. Ces lettres dénoncent l’antisémitisme, année du putsch raté d’Hitler, en 1923, dix ans avant son arrivée au pouvoir. Cette lecture se fait sur une musique angoissante qui vient souligner le texte et, peu à peu, une atmosphère oppressante s’installe. Après la lecture de ces deux lettres, le film se clôt sur le compte rendu de journaux à propos du procès contre les architectes d’Auschwitz qui ont construit les chambres à gaz et les fours crématoires.

« Tant que la lecture est pour nous l’incitatrice dont les clefs magiques nous ouvrent au fond de nous-mêmes la porte des demeures où nous n’aurions pas su pénétrer, son rôle dans notre vie est salutaire. Il devient dangereux au contraire quand, au lieu de nous éveiller à la vie personnelle de l’esprit, la lecture tend à se substituer à elle, quand la vérité ne nous apparaît plus comme un idéal que nous ne pouvons réaliser que par le progrès intime de notre pensée et par l’effort de notre coeur, mais comme une chose matérielle, déposée entre les feuillets des livres comme un miel tout préparé par les autres et que nous n’avons qu’à prendre la peine d’atteindre sur les rayons des bibliothèques et de déguster ensuite passivement dans un parfait repos de corps et d’esprit. »

Sur la lecture, Marcel Proust, 1906proust_sur-la-lecture

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